ONG/UNESCO: Forum « Le rôle des femmes dans la lutte contre la pauvreté » Intervention de Céline Cantat pour l’OMEP (29 et 30 juin 2015)

Women in war zones and refugee camps

(Les femmes dans les zones de guerre et les camps de réfugiés).

Syrian refugee women in Lebanon and their role in fighting poverty

(Les femmes réfugiées syriennes au Liban et leur rôle dans le combat contre la pauvreté).

Introduction

Le Moyen Orient est perçu en occident comme une région caractérisée par la persistance de conflits, de pauvreté, de despotisme et par une absence de droits de la femme. Souvent, ces situations politiques sont analysées au prisme des dangers potentiels qu’elles représentent pour la sécurité de l’occident, oubliant ainsi que ce sont les populations locales qui en paient le prix le plus lourd.

Si, en temps de guerre, ce sont d’abord les hommes qui figurent parmi les blessés, les emprisonnés et les morts, ces conflits ont également un impact extrêmement négatif sur la vie des femmes, qui doivent lutter pour maintenir leur foyer et assurer protection et sécurité à leurs enfants dans des contextes marqués par un accès limité aux services de base et à l’emploi ainsi que le démantèlement des réseaux sociaux et familiaux habituels.

En 2000, le Conseil de Sécurité a adopté la résolution numéro 1325 portant sur les femmes et la paix et a ainsi attiré l’attention non seulement sur l’impact particulier des conflits et des guerres sur les femmes, mais aussi sur le rôle de celles-ci dans la prévention et la résolution des conflits. Les approches classiques ont eu tendance à oublier les femmes, dissimulées derrière les figures typiquement masculines du combattant, du résistant ou du décideur politique. Il s’agit donc de ‘genrifier’ notre analyse, c’est à dire de prendre en compte les rapports sociaux caractérisant le masculin du féminin et les distinguant, pour comprendre comment ils participent à créer des formes de violence et des difficultés particulières aux femmes en période de conflit. Ceci appelle à situer notre approche dans son contexte social, culturel, économique et politique propre, afin entre autres d’éviter les écueils d’une approche « made in occident » dans notre travail de solidarité internationale et de soutien aux femmes.

 

1.   Aperçu de la situation des réfugiés de Syrie au Liban

Plus de la moitié de la population syrienne a été déplacée par le conflit. Il est estimé qu’il y a 9 millions de déplacés internes alors que le Haut Commissariat aux Réfugiés a enregistré près de 4 millions de réfugiés uniquement dans les pays limitrophes à la Syrie (le Liban, le Jordanie, la Turquie et l’Iraq). Ces chiffres ne prennent en compte que ceux et celles s’étant adressé.e.s à l’agence et sont donc des estimations à la baisse.

Au Liban, un pays d’environ 4 millions d’habitants, 1,2 millions de Syriens ont été enregistrés par le HCR. Sur demande du gouvernement, le HCR a cessé d’enregistrer les nouveaux arrivants début 2015. Il est estimé que le chiffre réel de réfugiés syriens dans le pays dépasse les 2 millions, soit plus d’un tiers de la population totale. Selon les chiffres des Nations Unies, près de la moitié des foyers syriens en exil sont désormais tenus par des femmes seules.

 

Les femmes réfugiées seules

La plupart de ces femmes se sont retrouvées à la tête de leur famille suite à des changements rapides et brutaux, et découvrent en un même temps la guerre, l’exil et la vie sans leur compagnon. La survie quotidienne, y compris trouver de l’argent pour un loyer, de la nourriture et des produits de base, ainsi qu’assurer l’accès aux soins de santé et à l’éducation pour leurs enfants, est un combat de chaque instant.

La première difficulté lors de l’arrivée au Liban est de trouver un logement pour leur famille, dans un pays déjà marqué par de graves problèmes d’habitat. En l’absence de camps de réfugiés officiels, gérés par le gouvernement ou les organisations internationales, de nombreuses familles vivent dans des abris collectifs ainsi que dans des camps informels, ce qui rend la distribution d’aide humanitaire d’autant plus difficile.

Dans ces camps informels, les femmes se trouvent dans des situations particulièrement précaires et dangereuses. Plusieurs d’entre elles m’ont expliqué par exemple, qu’une fois la nuit tombée, elles évitaient de se rendre aux toilettes et douches, lesquelles manquent souvent de verrou, de peur d’être victimes de harcèlement ou de violence sexuelle. Une fois ce problème reconnu, des ONG ont fourni des lampes de poches aux femmes et jeunes filles du camp et des groupes ont été organisés pour que les femmes ne se rendent plus seules aux douches et toilettes.

Celles qui peuvent louer des logements en contexte urbain signalent fréquemment des abus, y compris du chantage sexuel, de la part de leur propriétaire. D’une manière générale, l’habitat des réfugiés syriens au Liban manque des services les plus basiques, tels que l’eau courante ou l’électricité. Le HCR au Liban déclare que plus de 40% des foyers tenus par des femmes vivent dans des conditions insalubres.

Aux difficultés d’ordre matériel s’ajoutent des traumatismes psychologiques qui viennent affecter les femmes et leurs enfants, dans un contexte où leur vulnérabilité réduit les liens interpersonnels que ces femmes sont en mesure de développer et leur capacité à participer à la vie de la communauté.

Dans une situation où même l’accès aux produits de base est incertain, les violences contre les femmes figurent souvent au second plan dans les programmes d’action des organisations internationales et locales. Le stigma social qui perdure face aux épisodes de violence sexuelle empêche également les femmes de chercher de l’aide et de se rapprocher de services de soutien, lesquels sont par ailleurs rares à cause d’un manque d’expertise locale. Un autre problème important à cet égard est lié aux difficultés que les réfugiés syriens rencontrent pour régulariser leur présence au Liban. Ceci empêche les femmes de s’adresser aux autorités officielles ou à la police lorsqu’elles sont victimes de harcèlement ou de violence.

 

2.    Impact sur les enfants

L’éducation

Il y a 400,000 enfants syriens (âgés de 5 à 17 ans) enregistrés auprès du HCR au Liban et moins de 30% d’entre eux sont inscrits à l‘école. La population d’enfants réfugiés en âge d’aller à l’école est supérieure à celle des enfants libanais. Au delà du manque de places et de financement, les enfants syriens rencontrent d’autres difficultés lorsqu’ils tentent d’intégrer les écoles libanaises, telles que des différences entre les programmes scolaires syriens et libanais, le fait que dans beaucoup d’écoles libanaises une partie de l’enseignement se fait en français ou en anglais, les difficultés géographiques d’accès aux écoles mais aussi des incidents d’agression et d’hostilité envers les nouveaux venus.

Parfois, des programmes internationaux de soutien aux enfants syriens suscitent la jalousie des familles libanaises locales, également très pauvres. De telles situations ont été signalées dans la vallée de la Bekaa par exemple, où se trouve la majorité des campements informels syriens et qui est une des régions les plus paupérisées du pays.

 

Le travail des enfants

Dans cette situation d’extrême fragilité, certaines femmes doivent choisir parmi leurs enfants lesquels peuvent aller à l’école. Fatmeh[1], mère de six enfants dont le mari est mort en Syrie, m’a expliqué qu’elle préférait que ses filles aillent à l’école parce que « les filles ne peuvent pas survivre sans éducation. Les garçons peuvent toujours trouver du travail mais pour une femme sans éducation, il y a peu de solutions ».

Les enfants gagnent entre 1 et 4 dollars pour une journée complète de travail dans le secteur agricole, dans des garages et petits commerces, ou souvent en mendiant dans les rues. Plus alarmant encore, dans les régions frontalières, des adolescents parfois très jeunes peuvent être tentés de rejoindre des groupes armés en échange de salaire.

 

3.      Stratégie de survie et d’accès à l’éducation pour les enfants

Le rôle changeant des femmes

Dans cette situation, les femmes syriennes deviennent souvent des personnes clés dans l’organisation de la vie quotidienne des campements informels au Liban.

Dans la vallée de la Bekaa, Umm Sameer est devenue, d’abord par nécessité, chef de campement et le principal intermédiaire entre les organisations internationales et les résidents locaux. Originaire de la ville de Homs, Umm Sameer, 41 ans, qui ne travaillait pas en Syrie, était loin d’imaginer endosser de telles responsabilités une fois au Liban. Mais, elle m’explique que « nous, les femmes, sommes plus à même de tenir ses fonctions, nous savons ce dont les gens ont besoin, nous comprenons nos voisins. Les hommes partent le matin, pour essayer de trouver du travail. Nous, nous sommes ici toute la journée, nous connaissons les problèmes, nous connaissons les besoins, nous savons ce qu’il faut aux enfants ».

Ainsi, un employé d’une ONG internationale me confiait que les campements où les interlocuteurs étaient féminins étaient souvent mieux pourvus en produits de première nécessité et que les listes de besoins remontant jusqu’aux ONG répondaient mieux aux attentes de la population dans son ensemble.

 

L’emploi

Au niveau individuel, le premier facteur de prévention du travail des enfants est l’accès à une source de revenus stable de leur mère. Au Liban (comme en Jordanie et en Turquie) d’importantes restrictions existent quant à l’emploi des réfugiés, diminuant les possibilités de trouver du travail et poussant les réfugiés vers le secteur informel et une plus grande précarisation.

Cependant, les femmes auxquelles j’ai parlé faisaient preuve d’ingéniosité afin de trouver un emploi. Nombre d’entre elles se sont tournées vers le secteur du travail domestique – femme de ménage, garde d’enfants à domicile – mais certaines ont également ouvert de petits commerces tels que des salons de coiffure, des ateliers de couture ou des crèches à domicile. Malheureusement, de nombreux incidents d’harcèlement sexuel dans le secteur domestique sont à déplorer. Ainsi, les femmes préfèrent trouver des sources de revenu alternatives. Une des clés à cet égard est de développer des compétences susceptibles d’être rémunératrices.

 

La formation professionnelle

Avec l’aide des organisations internationales, 32 centres locaux de développement[2] et centres de ressources pour les femmes[3] ont été établis au Liban.

Ces centres fournissent des formations dans différents domaines tels que la coiffure ou la cuisine. Plusieurs ONG internationales organisent des activités de formation dans les campements informels, où elles enseignent aux femmes réfugiées les rudiments de métiers que les femmes peuvent exercer de manière informelle. Ainsi, en dehors du secteur agricole où les hommes demeurent plus convoités, les femmes réfugiées au Liban se retrouvent fréquemment dans des situations plus employables que les hommes.

Certains de ces centres proposent également un suivi dans la recherche d’emploi ainsi que des micro-prêts pour les femmes en grande difficulté. Les organisations locales et internationales insistent pour impliquer (et, là où cela est possible, employer) des réfugiés syriens dans leurs programmes et projets. Ainsi, la cafétéria du HCR à Beyrouth est en majorité animée par des femmes réfugiées syriennes ayant suivi des formations en cuisine et hygiène alimentaire dans l’un de ces centres.

 

Initiatives locales et autonomes

Au delà des initiatives des organisations internationales, des nombreux réseaux informels formés par des femmes syriennes au Liban se sont développés. Dans une banlieue paupérisée de Beyrouth, j’ai par exemple rencontré un groupe de femmes âgées de 17 à 62 ans s’étant organisées de manière autonome et se réunissant trois fois par semaine dans une salle prêtée par une association locale. Lors de ces rencontres, les femmes discutent de leurs difficultés quotidiennes, s’échangent des conseils en matière d’hygiène et de santé, et se réservent ainsi des moments de partage et d’entraide.

Elles organisent également des ateliers où chacune enseigne les compétences étant les siennes – ainsi, des cours d’informatique, d’anglais et de couture sont proposés. Deux de ses femmes travaillent comme gardes d’enfants, libérant ainsi d’autres femmes ayant trouvé des emplois. Une partie des salaires est mise en commun afin d’acheter des produits de base en grosses quantités et de bénéficier ainsi de prix plus avantageux. Layla, 32 ans, me confie « nous les femmes, sommes capables de faire ça, de coopérer pour utiliser au mieux nos ressources. Ce n’est pas toujours les cas parmi les hommes ! »

Conclusion

Comme le dit Layla, les femmes en temps de conflit démontrent leur capacité à travailler ensemble et à mutualiser les ressources dans leur combat contre la pauvreté et les formes de violence genrées dont elles sont victimes.

Il est ainsi impératif que les initiatives de solidarité internationale et les ONG incluent les expériences et les témoignages féminins lorsqu’elles conçoivent leurs projets et que les difficultés propres aux femmes soient prises en compte. Ceci permettra aux femmes réfugiées de réaliser leur potentiel d’actrices de premier plan dans la lutte contre la pauvreté et l’accès à l’éducation et à la santé des futures générations.

[1] Les noms ont été changés par souci de confidentialité.

[2] Community development centres

[3] Women’s resource centres