L’OMEP-France à la journée mondiale de l’Alphabétisation 2014 à l’UNESCO
Dans le cadre du Groupe de travail du Comité de liaison des ONG-UNESCO, Alain HOUCHOT, membre de l’OMEP, a été invité à participer à une table-ronde lors de la Journée Internationale de 2014 sur l’alphabétisation et l’Éducation Pour Tous tout au long de la vie, qui s’est déroulée le 8 septembre 2014 à l’UNESCO.
Dans le cadre du Groupe de travail du Comité de liaison des ONG-UNESCO, Alain HOUCHOT, membre de l’OMEP, a été invité à participer à une table-ronde lors de la Journée Internationale de 2014 sur l’alphabétisation et l’Éducation Pour Tous tout au long de la vie, qui s’est déroulée le 8 septembre 2014 à l’UNESCO. Son intervention sur « L’éducation de la petite enfance comme préalable à une alphabétisation réussie » a été particulièrement appréciée.
ARGUMENTAIRE de la Journée Internationale
Près de 800 millions d’êtres humains – dont 2/3 de femmes – sont analphabètes, et 57 millions d’enfants d’âge scolaire n’ont pas accès à l’école (Institut de statistiques de l’UNESCO).
Dans son message d’introduction à la Journée internationale 2013 de l’alphabétisation, la Directrice Générale de l’UNESCO, Irina Bokova, rappelle :
"L’alphabétisation est un droit et un moteur fondamental du développement humain. Elle ouvre la voie de l’autonomie, de l’acquisition des compétences, de la pleine expression de la culture et de la pleine participation à la société. […] Elle est le moteur du développement durable et inclusif."
Tant les données statistiques que les arguments de la Directrice Générale de l’UNESCO répondent parfaitement à la motivation des OING de l’UNESCO à l’initiative de l’événement soutenu par le Comité de liaison des ONG-UNESCO pour la Journée internationale de l’alphabétisation en 2014, dont le titre général est : « Alphabétisation : une étape incontournable sur le chemin de l’éducation pour tous, tout au long de la vie ».
L’alphabétisation est effectivement une étape essentielle du processus d’éducation, même si l’éducation ne se réduit pas à l’alphabétisation. C’est également un des critères d’évaluation de la réussite du programme de l’Éducation Pour Tous (EPT). C’est enfin l’outil essentiel de l’apprentissage tout au long de la vie pour l’accès de tous aux compétences nécessaires à l’insertion professionnelle, à la culture de l’écrit, que les technologies de la communication – contrairement à ce qu’on avait pu imaginer dans les premiers temps – rendent encore plus contraignantes.
Au fil des années, la notion d’alphabétisation a évolué. Le concept d’origine, limité aux compétences de base en lecture, écriture et calcul, est encore largement répandu, de même que la notion d’alphabétisation fonctionnelle qui associe alphabétisation et développement économique. Mais d’autres façons de comprendre l’« alphabétisation » ou « les alphabétisations » ont fait leur apparition afin de répondre à la diversité des besoins d’apprentissage des personnes.
Comme le souligne Madame Irina Bokova :
"L’alphabétisation est donc bien davantage qu’une priorité éducative. Elle est l’investissement d’avenir par excellence […]. Elle est essentielle pour éliminer la pauvreté, réduire la mortalité infantile, freiner la croissance démographique, instaurer l’égalité des genres et assurer le développement durable, la paix, la démocratie."
Les 6 objectifs du programme EPT ne seront pas atteints en 2015, mais comme le rappelle la Consultation Collective des ONG sur l’Éducation Pour Tous (CCONG/EPT) dans ses recommandations d’octobre 2012, il importe que :
- Les objectifs non atteints soient repris dans l’agenda post-2015.
- Les principes d’équité, d’inclusion et de non-discrimination sous-tendent les politiques et pratiques énoncées dans l’agenda post-2015 dans le domaine de l’éducation. L’égalité des genres devrait constituer une dimension centrale dans cet agenda.
- Soit défini un cadre holistique d’apprentissage tout au long de la vie, avec des initiatives pour chaque étape depuis l’éducation et la protection de la petite enfance jusqu’à l’enseignement secondaire et supérieur, sans oublier l’apprentissage sur les lieux de travail et l’apprentissage tout au long et dans toutes les dimensions de la vie. Une vision élargie de l’apprentissage doit être au fondement de tous les aspects du développement.
Ces recommandations s’inscrivent parfaitement dans la démarche du groupe de travail des OING en charge de l’organisation de cet événement et justifient les trois sous-thèmes prioritaires retenus :
- Préparer l’alphabétisation et l’éducation de base : rôle de l’éducation de la petite enfance.
- Alphabétiser les filles pour réussir l’Éducation Pour Tous.
- Réussir l’alphabétisation et la post-alphabétisation des jeunes et des adultes, en particulier de ceux qui en sont le plus éloignés.
Les OING organisatrices membres du groupe de travail ont une large expérience de mise en œuvre d’actions visant à réaliser les objectifs de l’EPT, dont l’alphabétisation. Les stratégies appliquées dans des contextes géographiques et culturels variés peuvent être partagées et entrer dans un répertoire de bonnes pratiques dont d’autres organisations de la société civile, mais également les gouvernements, peuvent s’inspirer en les adaptant aux spécificités de leur milieu.
La conférence des OING sur l’alphabétisation et l’éducation pour tous, tout au long de la vie sera donc un moment d’échanges et de partages entre praticiens de terrain et spécialistes en recherche-action. Elle proposera aussi une présentation originale du thème : Les OING sont dans l’action au quotidien sur le terrain. C’est de leurs expériences (positives et négatives) dont elles savent tirer profit que naît leur efficacité. Et c’est de cette expérience qu’il convient de partir pour envisager les formes que peut prendre l’action de lutte contre l’analphabétisme d’une manière plus universelle, mais appliquée à des contextes variés. En d’autres termes, il ne s’agit pas de présenter des « bonnes pratiques » qu’il s’agirait de transférer ici ou là. Toutes les tentatives de ce type ont échoué. Mais il s’agit plutôt, à partir de l’analyse en profondeur d’un cas particulier (le support pouvant être un film), de permettre aux participants d’approfondir leur réflexion pour créer de nouveaux programmes, développer et élever la qualité des programmes déjà en cours, favoriser des mises en commun d’expériences. C’est à partir de cette réflexion mise en commun que pourraient surgir des recommandations adressées aux OING, aux États membres, à l’UNESCO et à la communauté internationale. À chacun ensuite de s’emparer de ces recommandations afin de relever ce grand défi du XXIème siècle : l’alphabétisation et l’Éducation Pour Tous tout au long de la vie.
Programme de la Journée Mondiale pour l’Alphabétisation
Lundi 8 septembre 2014
À la maison de l’UNESCO, Salle XII, 1 Place de Fontenoy 75007 PARIS
- Ouverture de la journée par le Président du Comité de Liaison, Représentant UNESCO.
- Présentation du film « l’École nomade ».
- Débat animé par Monique Scherrer (BICE, Bureau International Catholique de l’Enfance) avec le réalisateur du film Michel Debats et Alexandra Lavrillier, ethnologue à l’origine du programme d’éducation dans l’ethnie Evenk, peuple nomade de Sibérie.
- Contribution d’Alfonso Lizarzaburu, expert désigné par l’Institut de l’UNESCO pour l’Apprentissage tout au long de la vie (UIL, Hambourg).
Deuxième partie : Alphabétisation et EPT pour le développement durable : rôle des ONG
Modérateur : Isabelle Turmaine (IAU/AIU, International Association of Universities/Association Internationale des Universités)
3 ONG présentent leurs programmes d’alphabétisation en traitant particulièrement les thèmes suivants :
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L’éducation de la petite enfance comme préalable à une alphabétisation réussie. (Alain Houchot, Inspecteur Général de l’Éducation Nationale, OMEP-France)
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Un programme pour les femmes et les filles, vers la réussite de l’Éducation Pour Tous et le Développement Durable. (Maria Elizabetta de Franciscis, Présidente élue, Soroptimist Europe)
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Alphabétisation et Éducation Pour Tous tout au long de la vie pour ceux qui en sont le plus éloignés (ATD Quart Monde International).
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Intervention de Mr Chakroun, Chef de Section Enseignement et Formation Technique et Professionnelle, UNESCO.
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Présentation, discussion et adoption préliminaire des recommandations des ONG en vue du forum de Séoul et de la perspective post-2015.
Intervention d’Alain HOUCHOT,
Inspecteur général de l’Education nationale, membre de l’OMEP.
L’OMEP, plus ancienne organisation professionnelle mondiale au service des jeunes enfants, pourrait parfaitement apparaître en dehors du champ de la problématique de l’alphabétisation.
En effet notre organisation se consacre depuis sa création, à la fin de seconde guerre mondiale, à la question de l’éducation des jeunes enfants, de la naissance à 8 ans. Au-delà d’actions et d’engagements de terrain, elle a largement participé à la réflexion et à la mobilisation qui ont conduit à la signature de la convention internationale des droits de l’enfant des Nations Unies (CRC 1989). Plus récemment, lors de sa conférence de Shanghai en Juillet 2013, elle a demandé aux décideurs de niveau local, régional, national et international d’investir dans l’éducation préscolaire et les soins (ECEC) et a recommandé à la communauté internationale de les introduire comme priorité des objectifs de développement durable de l’ONU. Cette position a été reprise lors de la conférence de Cork (Irlande) en Juillet 2014.
Cette demande s’inscrit dans l’histoire de l’OMEP, de ses combats pour faire reconnaître les droits des jeunes enfants, particulièrement de leur droit à l’éducation, droits pour lesquels elle agit actuellement dans 70 pays. L’enjeu est important car il s’agit, par l’ECEC de compenser les inégalités dont sont victimes les jeunes enfants, inégalités qui entraînent un criant manque d’équité entre filles et garçons, entre enfants originaires de groupes ethniques ou culturels différents, entre enfants de la campagne et enfants de la ville, entre enfants privilégiés et enfants défavorisés au niveau économique. Ces inégalités se sont actuellement fortement amplifiées dans de nombreux pays du fait de la crise économique mondiale mais aussi des nombreux conflits qui se sont développés. La pauvreté s’est accrue, la précarité affective s’est installée, l’enjeu de la survie est réapparu pour de nombreux groupes humains et les premiers touchés ce sont les jeunes enfants. Cela est vrai dans les pays les plus pauvres mais aussi dans de nombreux pays développés y compris en Europe ou en Amérique du Nord où des communautés entières sont de nouveau confrontées à la misère et pour lesquelles les inégalités sont redevenues insupportables.
L’une des plus grandes inégalités se situe dans l’impossibilité pour ces enfants d’accéder à la maîtrise de leur langue maternelle, maîtrise qui passe bien évidemment par son usage oral mais aussi par sa compréhension et sa reconnaissance à l’écrit. L’alphabétisation de ces enfants est alors retardée, voire abandonnée, alphabétisation qui sera encore plus problématique ensuite lorsqu’ils seront adultes.
Quel lien entre alphabétisation et éducation préscolaire ?
L’alphabétisation consiste à apprendre à lire et à écrire et on pourrait penser qu’elle ne concerne pas directement les très jeunes enfants. On considère majoritairement que ce processus peut se mettre en place à partir de l’âge de sept ou huit ans (certains pays dont la France anticipent et proposent cet apprentissage dès l’âge de six ans), la petite enfance ne serait dont pas impliquée. Toutefois ce processus s’inscrit dans un cheminement dont les bornes sont difficiles à placer.
Dans les pays développés, ayant un système scolaire bien structuré, cet apprentissage s’engage massivement et collectivement entre six et huit ans mais en fait se déroule sur une très longue durée.
Avant de s’engager dans cette phase d’apprentissage actif donc avant l’âge de 6 ou 7ans, les enfants doivent avoir développé de nombreuses compétences essentielles pour leur réussite. Ils doivent savoir s’exprimer à l’oral, bien parler leur langue avant de la découvrir à l’écrit ; ils doivent aussi être capables de se confronter sans crainte à des apprentissages nouveaux, oser s’engager dans des expérimentations, ne pas avoir peur de faire, avoir confiance en eux, oser et savoir faire avec les autres en dehors du cercle communautaire ou familial habituel.
Après la phase active de d’apprentissage, qui permet la découverte de l’écrit et la compréhension des principes de son fonctionnement, donc après l’âge de 8ans, intervient une longue période de renforcement et d’approfondissement durant laquelle on doit permettre aux élèves de s’entraîner à l’usage écrit de leur langue et d’en découvrir peu à peu les complexités et les particularités afin de parvenir à la compétence nécessaire à une bonne insertion sociale et professionnelle. Selon le degré de complexité des langues cette troisième période dure jusqu’au cycle secondaire voire la fin de l’enseignement obligatoire.
On voit donc que l’alphabétisation est un processus continu qui ne peut se réduire à la seule phase de confrontation et de découverte de la langue écrite.
La phase préalable est essentielle et lorsque les objectifs de cette période préalable à l’alphabétisation proprement dite ne sont pas atteints, les enfants les plus fragiles, ceux qui sont confrontés aux conditions de vie les plus difficiles, ceux qui appartiennent à des communautés ou des groupes ethniques minoritaires et ne parlant pas la même langue que la langue officielle de l’école, sont le plus souvent mis en échec dans la phase d’apprentissage. Cet échec, installé dès les premiers mois de l’alphabétisation effective, sera le plus souvent insurmontable pour ces élèves, les installant dans un profond sentiment d’incompétence.
La seconde phase, d’entraînement et de renforcement, est déterminante pour installer durablement la compétence. Lorsque cette phase n’est pas bien conduite, les élèves terminent leur parcours scolaire avec des compétences insuffisantes ou trop instables pour leur permettre de rester ensuite des adultes vraiment opérationnels et autonomes pour lire et écrire. Ce sont ces jeunes et ces adultes qui sont ensuite comptabilisés, particulièrement dans les pays développés, comme étant des illettrés : ils ont été alphabétisés mais on ne leur a pas permis d’accéder à une compétence suffisante et durable. En France, au-delà des variations annuelles, on estime que 5% des jeunes de 18 à 25 ans sont illettrés et que 12% des jeunes de 17ans ont des difficultés graves de lecture et d’écriture. L’alphabétisation ne peut donc se réduire à la courte période de découverte et d’apprentissage du code écrit, pour qu’elle soit couronnée de succès elle doit être à la fois préparée en amont et renforcée, confortée en aval.
Dans les pays n’ayant pas encore de système scolaire stable et accessible à tous, l’enjeu de l’alphabétisation est encore plus prégnant puisque les situations d’inégalité déjà évoquées sont encore plus criantes et inacceptables. Cela vaut en priorité pour les populations les plus défavorisées et parmi elles pour certains groupes en particulier les groupes ethniques minoritaires mais aussi les femmes et les enfants. L’alphabétisation de ces groupes devient une urgence et l’on pourrait penser que la question de la petite enfance n’est plus alors un enjeu, l’urgence serait la prise en charge des adultes pour lesquels l’apprentissage de la langue écrite est parfois une question de survie sociale et économique.
En fait cette urgence temporelle n’est pas en opposition avec une réflexion globale sur l’éducation dans ces pays, c’est en effet du droit global à l’éducation et de la question de l’égalité qu’il est question, droit de chaque être humain, droit de chaque femme en particulier, droit aussi de chaque enfant. Là encore nous retrouvons la question des bornes à poser.
Si nous voyons bien la nécessité de cibler des populations pour répondre à des besoins spécifiques, à des détresses particulières, la question de l’alphabétisation doit aussi être envisagée, dans ces pays, pour ces populations, d’une façon globale : comment respecter leur droit à l’éducation et à la scolarisation ? Alors les jeunes enfants ne peuvent être écartés de la réflexion, leur prise en charge ne peut être envisagée comme un luxe que seuls des pays développés pourraient se permettre.
Les programmes d’alphabétisation auront d’autant plus de chance de réussir que les enfants concernés seront accessibles, disponibles pour cet apprentissage, que les familles seront sensibilisées à l’intérêt de cette action, sans préjugés, sans crainte notamment en ce qui concerne leurs filles. Un dispositif qui englobera les très jeunes enfants permettra à la fois de faire évoluer les mentalités des familles et de mieux mobiliser les enfants lorsqu’ils s’engageront vraiment dans l’apprentissage de la lecture.
Quel que soit le pays, le territoire concerné, se préoccuper de la petite enfance, de l’éducation préscolaire est donc essentiel pour faire évoluer la prise en charge des populations les plus en risque, confrontées aux plus grandes inégalités.
Le thème de cette journée est « Alphabétisation et éducation pour tous tout au long de la vie », la vie commence par la petite enfance période cruciale pour le développement futur. C’est en intégrant la petite enfance à la réflexion sur l’alphabétisation et l’éducation pour tous qu’on lui donnera toutes ses chances de réussir. Pour reprendre l’interrogation énoncée au début de cette intervention, le champ de l’alphabétisation inclut bien la petite enfance et c’est à cette reconnaissance que s’attache l’OMEP auprès de tous ses partenaires.
Je vous remercie de votre attention.