L'OMEP France au colloque de l'IGAS sur la petite enfance
Le 4 décembre 2024, l'OMEP-France a participé à un colloque majeur intitulé « Petite enfance : pourquoi et comment ? »,
organisé par l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) au ministère des Affaires Sociales à Paris.
Cet événement a permis d’aborder les défis actuels et les perspectives pour l’avenir du secteur de la petite enfance en France, en présence de nombreux experts et acteurs du domaine.
Le développement de l’enfance d’abord : une évidence ?
La première partie du colloque a été consacrée à une question fondamentale : le développement de l’enfant est-il une évidence dans les pratiques d’accueil de la petite enfance ? Sylviane Giampino, présidente du Haut Conseil de la Famille, a rappelé que si l’intérêt pour le développement de l’enfant est désormais au cœur des préoccupations, il n’en a pas toujours été ainsi. Elle a insisté sur l’importance de replacer l’enfant au centre des pratiques, tout en restant sensible aux conflits éthiques et aux divergences sur les méthodes éducatives. Héloïse Junier, docteure en psychologie, a mis en lumière un écart entre les connaissances scientifiques sur le développement de l’enfant et les pratiques dans les structures d’accueil, soulignant que la dépendance naturelle des jeunes enfants doit répondre au besoin de sécurité tout en ne se limitant pas à des réponses en termes sanitaires. Marie-Rose Moro, professeure à l’hôpital Cochin, a quant à elle plaidé pour une reconnaissance et une intégration des diversités culturelles dans les pratiques éducatives, une dimension parfois ignorée dans les politiques d’accueil. En parallèle, François de Singly, professeur émérite de sociologue, a critiqué une approche trop normative du développement de l’enfant, mettant en garde contre les dangers d’une uniformisation excessive.
Ces interventions ont révélé une prise de conscience collective : il est crucial de repenser les pratiques d’accueil en tenant compte de la singularité de chaque enfant et des contextes familiaux et culturels dans lesquels il évolue.
Le modèle français de la petite enfance est-il vraiment un modèle ?
La seconde table ronde a été consacrée à la remise en cause du modèle français en matière de prise en charge de la petite enfance et à la comparaison avec d’autres pays. Les experts présents au colloque ont souligné certains manques et appelant à des réformes profondes. Marion Cuerq, spécialiste des droits de l’enfant notamment en contexte suédois, a présenté des exemples où l'investissement dans la petite enfance est perçu comme un impératif pour l’avenir. Ainsi, en Suède, les frais de garde sont très modérés, et les enfants passent une grande partie de la journée à l’extérieur. Cette approche, fondée sur un contrat social centré sur les droits de l’enfant, se distingue de l’approche plus verticale observée en France. Par ailleurs, Alesha de Freitas, responsable du plaidoyer à la Fawcett Society, a souligné la nécessité de valoriser davantage les professionnels de la petite enfance en France, qui souffrent d’un manque de reconnaissance sociale et salariale.
La question du coût des structures d’accueil a également été soulevée. Alors que les frais de garde en France restent élevés, Géraldine Libreau de la Commission européenne a évoqué des initiatives comme la gratuité de l’accueil en crèche au Portugal ou l’accès garanti dès 18 mois en Lettonie, qui visent à réduire les inégalités d’accès.
Travailler dans la petite enfance : un métier d’avenir ?
Un autre axe majeur du colloque a été consacré à la question de l’attractivité des métiers de la petite enfance, un secteur en crise en raison d’une pénurie croissante de professionnels. Élisabeth Laithier, membre du comité de filière petite enfance, a souligné que les métiers de la petite enfance nécessitent une véritable professionnalisation, mais souffrent d’un manque de reconnaissance tant en termes de statut que de rémunération. Les assistantes maternelles (AM), premières professionnelles d’accueil en France, sont particulièrement touchées par cette invisibilisation, malgré leur rôle crucial. Sandra Onyszko a alerté sur une perte estimée de 100 000 AM d’ici 2031, un chiffre alarmant pour un secteur déjà sous tension.
La formation des professionnels a également été un point de débat. Julia Marty-Pichon a expliqué que les formations actuelles, bien qu’étendues, ne sont pas toujours adaptées aux besoins des professionnels sur le terrain. L’élévation du taux de qualification, ainsi que la revalorisation des conditions de travail et des salaires, apparaissent comme des leviers essentiels pour redonner de l’attractivité à ces métiers.
Petite-Enfance : faire mieux avant de faire plus ?
L’importance cruciale de l'investissement dans ce domaine, la réalité économique et sociale imposent des choix difficiles. Selon l'URIOPS, la question centrale est de savoir combien la société est prête à consacrer à la prise en charge des vulnérabilités des jeunes enfants. Alors que le coût d’un berceau se situe entre 8 000 et 10 000 euros, certaines entreprises low-cost proposent des prix de 2 500 à 3 000 euros, créant une pression sur la qualité des services. M. Grivel (CNAF) souligne que le coût moyen des structures a augmenté de 50 % pour garantir une qualité acceptable, car il est désormais évident que la qualité des services d'accueil a un coût. M. Vasselin (adjoint au maire de Lyon) met en évidence une problématique majeure : la perte de professionnels dans le secteur, le système étant devenu épuisant pour ceux qui y travaillent. De plus, la question du taux de facturation et d’occupation des crèches devient de plus en plus pressante. Le taux de remplissage devient une priorité, parfois au détriment de la qualité de l’accueil. Enfin, le médecin représentant les PMI insiste sur la nécessité de ne pas seulement gérer les structures, mais d’y inclure un effort soutenu pour améliorer la qualité, soulignant que les normes d’encadrement n’ont pas été mises à jour depuis l’après-guerre. Bien que la réforme Norma, introduite après le drame de Lyon, soit un pas en avant avec des séances d’analyse de pratique, essentielles pour une gestion de qualité, leur mise en place reste encore insuffisante.
Discours de la ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance, Agnès Canayer
La ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance, Agnès Canayer, a présenté les grandes lignes des réformes prévues pour améliorer l’accueil des jeunes enfants en 2025. Parmi les mesures phares, on retrouve la mise en place des schémas départementaux et des conventions territoriales avec la CNAF, visant à mieux recenser les besoins locaux et à développer des solutions adaptées. En outre, un effort particulier sera porté sur la qualité de l’accueil, avec des mécanismes de contrôle renforcés et la création d’un référentiel national pour uniformiser les pratiques d’accueil.
La revalorisation des métiers de la petite enfance est également au programme, avec des augmentations salariales et des bonus attractivité pour attirer et fidéliser les professionnels. Ces initiatives s’accompagnent d’une meilleure formation et d’un accompagnement renforcé des collectivités locales, afin de garantir une qualité d’accueil homogène sur l’ensemble du territoire. Par ailleurs, des évolutions des normes d’encadrement, notamment pour les micro-crèches, seront mises en place, afin de concilier qualité d’accueil et attractivité du secteur.
Conclusion : Un investissement essentiel pour l’avenir
Thomas Audigé, chef de service de lIGAS a conclu cette journée. Il a souligné qu'investir dans la petite enfance est un choix stratégique qui impacte directement l’avenir de notre société. La France doit encore relever de nombreux défis pour garantir une prise en charge de qualité pour tous les enfants, quels que soient leur origine ou leur milieu. Les réformes proposées par le gouvernement, ainsi que les perspectives évoquées lors du colloque, visent à répondre à ces enjeux en revalorisant les métiers du secteur, en améliorant les conditions de travail, et en plaçant les droits de l’enfant au centre des préoccupations. Il est désormais essentiel que l’ensemble des acteurs – pouvoirs publics, familles, et professionnels – œuvrent ensemble pour offrir à chaque enfant un environnement propice à son épanouissement et à son développement.