Conférence de Christine SCHUHL « Prévenir les douces violences dans les pratiques professionnelles »
Mercredi 26 novembre 2014, à la salle de conférence de l’Hôtel de Ville de Paris, s’est déroulée la conférence de Christine Schuhl
Christine Schuhl est éducatrice de jeunes enfants, diplômée en sciences de l’éducation. Elle est formatrice depuis de nombreuses années et conseillère pédagogique depuis plus de 3 ans dans plusieurs établissements. Rédactrice en chef de la revue Les métiers de la petite enfance, chez Elsevier Masson, elle anime et coordonne des journées petite enfance sur toute la France. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages édités à la Chronique Sociale.
I. La « douce violence » dans les pratiques professionnelles
La douce violence trouve sa source au cœur même d’un quotidien institutionnel, apparemment pensé autour de l’enfant.
Définitions : Ce n’est pas de la maltraitance, ni de l’abus. Ce sont des négligences des professionnels, dans leurs pratiques, où la volonté et le confort de l’adulte prennent le dessus sur celui de l’enfant. Ce sont des instants où le professionnel n’est plus dans la relation à l’enfant, où il « se laisse emporter » par un geste brusque, un jugement, un a priori, une étiquette… Sans préméditation et de manière inconsciente, ces gestes, paroles et regards, répétés, s’inscriront dans le patrimoine affectif de l’enfant. C’est pourquoi il est important de les repérer.
II. Comment reconnaît-on qu’on est en présence de douces violences ?
- Tout ce qui choque ou interpelle doit nous alerter.
- Se demander si cela a un sens (s’il comprend le but) et un intérêt pour l’enfant.
- Lorsque je fais vivre à l’enfant ce que je n’aimerais pas : qu’on me fasse ou qu’on fasse à un enfant de ma famille.
III. Facteurs déclenchants : les conditions institutionnelles
- Avec tout être dépendant (enfant, malade, personne âgée…).
- Par « confort » de l’adulte (l’adulte qui compte avant l’enfant).
- Dans toute situation non maîtrisée, non expliquée à l’enfant (paroles, émotions exprimées trop fortement au-dessus de sa tête, changement non expliqué à l’enfant, etc.).
- Jugements sur les enfants, leurs familles et collègues devant les enfants.
- Sur-attachement d’un enfant à un adulte sans relais de l’équipe.
- Surnoms incessants et nombreux pour un même enfant (ma puce, mon cœur, mon bouchon…).
- Organisation chaotique et mal pensée, sans concilier respect du rythme de l’enfant et respect de l’organisation.
- Manque de repères dans l’espace, le temps, et le personnel (absence de rituels).
- Transitions non pensées par l’équipe (entre deux activités).
- Allées et venues incessantes des adultes (direction, services de ménage et cuisine) sans discrétion.
- Manque de cohérence éducative (consignes divergentes).
- Manque de réunions pour conduire un projet pédagogique.
- Routine, systématique, travail à la chaîne, trop grand nombre d’enfants.
- Fragilités de l’encadrement, malaise au sein de l’équipe.
- Failles dans l’aménagement de l’espace.
- Pression sur l’enfant (ex. : « dépêche-toi ! »).
- Activisme (emploi du temps trop chargé) qui empêche du temps individuel pour l’enfant.
- Immobilisme (absence d’évolution, journées hyper structurées).
- Mal préparée l’adaptation des enfants à tout changement.
- Ennuyeux : pas assez de jeux différents, pas de jeux adaptés, passivité de l’adulte.
- Faux libre choix (décision de l’adulte).
- Comportement de l’enfant qui exténue l’équipe (morsures, cris, pleurs, colères).
- Le modèle de l’adulte : les autres enfants reproduisent les gestes et intonations de l’adulte.
IV. Répercussions sur l’enfant
Ces violences d’insécurité affective peuvent avoir des conséquences négatives sur le comportement et la personnalité de l’enfant. Il a besoin d’être reconnu et entendu pour exister. Les 3 premières années sont les fondations de sa personnalité, période où il prend conscience de sa propre identité. Les « douces violences » fragilisent la confiance en soi, l’estime de soi et parasitent le développement de l’enfant, freinant son autonomie et sa place dans le collectif.
Les « douces violences » sont explicables, mais pas excusables.
V. Marges de progrès
Il est parfois difficile de repérer les « douces violences » dans sa pratique quotidienne. Elles peuvent être verbalisées ; il faut alors pouvoir s’y arrêter et corriger sa conduite. Même si la remise en question est difficile, plusieurs moyens existent :
- Reformuler à l’enfant.
- Anticiper l’organisation.
- Considérer le regard des stagiaires et des étrangers à la structure.
- Organiser des réunions.
- Oser en parler entre collègues, sans jugement.
L’essentiel est de recentrer l’Enfant dans nos préoccupations, dans le projet pédagogique.
Bibliographie
Aux Éditions La Chronique Sociale :
- Vivre en crèche, remédier aux douces violences. 2004
- Réaliser un projet accueil petite enfance. 2005
- Repérer et éviter les douces violences dans l’anodin du quotidien (dessins de Denis Dugas). 2007
- Remédier aux douces violences, outils et expériences en petite enfance. 2011
- Créer et rêver avec le tout petit. 2013